Népotisme : et si c’était parfois une solution ?
Plusieurs affaires de népotisme ont récemment défrayé la chronique dans le milieu politique. Employer sa femme, son fils ou sa fille en tant qu’assistant parlementaire n’est clairement plus accepté aujourd’hui. Dans le monde de l’entreprise, de même, le népotisme est mal vu. Certes, il ne s’agit pas ici d’argent public, mais l’opinion majoritaire considère que recruter ses collaborateurs au sein de sa famille ou parmi ses très proches est une attitude non professionnelle, voire condamnable, que l’on devrait idéalement se défaire de ses liens, de ses attirances, de ses réseaux personnels lorsqu’il s’agit d’embaucher et s’entourer d’inconnus choisis pour leurs compétences.
Beaucoup d’entreprises familiales ne suivent cependant pas ces règles, intégrant en leur sein de nombreux membres de la parentèle, choisis de préférence à d’autre. Des pratiques considérées comme des survivances latines par la doxa majoritaire, regardées avec une certaine commisération, accusées de nuire à la performance et à la capacité d’innovation.
Et si ces entreprises familiales avaient, en réalité, parfois de bonnes raison d’agir ainsi ? Nos recherches mettent en évidence que le népotisme peut dans certains cas être une bonne solution.
Lorsque l’environnement économique est très incertain, travailler en famille, en connaissant intimement ses collaborateurs, favorise la confiance et permet des ajustements rapides aux évolutions.
Lorsque l’environnement institutionnel est très fragile, que l’Etat assure peu de protection, que le droit est mal respecté, de même, le groupe familial constitue un soutien et peut se mobiliser pour aider l’entreprise à survivre.
Les propriétaires d’entreprises familiales ne placent pas seulement de l’argent dans leurs affaires. Ils investissent des émotions. Ils ne cherchent pas seulement à gagner de l’argent. Ils conçoivent l’entreprise comme un enfant qu’il faut faire grandir. Ils attendent de leur engagement des bénéfices socio-émotionnels forts.
C’est cet investissement socio-émotionnel, en réalité peu pris en compte par la théorie économique classique, qui explique pourquoi la présence des membres de la famille au sein des entreprises familiales constitue souvent un atout.
On sait que plus les liens familiaux sont forts, plus le dirigeant s’identifie à sa société, et que plus la famille est présente dans le capital, plus les gens de la famille sont nombreux à y travailler.
Des implications très pratiques
Des recherches montrent aussi que les phases de démarrage sont facilitées par l’expérience des anciens associés à l’aventure et que l’engagement des membres de la famille est ensuite en moyenne plus fort que celui de salariés classiques, qu’ils se montrent plus flexibles lorsque nécessaire.
Bien sûr, il ne s’agit pas de dire ici qu’une peut recruter sans tenir compte des compétences, mais uniquement des liens de sang. Bien sûr, il ne s’agit pas de jeter par-dessus bord toutes les pratiques reconnues en matière de ressources humaines : la définition précises des postes, la formation, l’évaluation des performances,…
Mais reconnaître l’intérêt du népotisme dans certains contextes a des implications très pratiques.
Il n’est pas forcément souhaitable de chercher à imposer aux entreprises de pays pauvres, dont l’Etat est défaillant, l’idée qu’elles devraient se comporter comme des firmes anglo-saxonnes, ouvrant largement leurs portes aux inconnus. Il peut être préférable de reconnaître la force du modèle familial tout en incitant les entreprises à adopter certaines bonnes pratiques RH, notamment en matière de formation.
De même, pour les migrants qui débarquent dans des pays nouveaux, il importe de reconnaître que le soutien du groupe familial leur est très précieux. Le modèle du restaurant chinois qui emploie toute la parentèle semble décalé de l’activité économique majoritaire, mais il a sa logique.
Si des têtes nouvelles, extérieures à la famille parviennent à s’agréger à la communauté pour apporter des connaissances nouvelles à ces petites entreprises familiales et les aider à mieux comprendre leur environnement, le pari est souvent gagnant.
Inciter les migrants à rechercher du travail salarié hors de leur milieu ne constitue donc pas forcément la démarche d’intégration la plus pertinente. Leur faciliter la création d’activités familiales pourrait être une piste féconde.
Dr Ionela Neascu est Assistante Professor, au sein du pôle académique « Strategy and innovation » de Rennes School of Business
Cet article est aussi paru dans « Entreprise & Carrières » en février 2018