Innovation sociale : quand des ressources limitées permettent la création d’un avantage concurrentiel
De l’avis général, une innovation est réussie grâce au développement d’une nouvelle technologie et d’un investissement financier conséquent. Mais, de plus en plus c’est la demande qui dicte l’innovation, il suffit de regarder la manière dont les économies émergentes tirent profit de budgets très limités.
La théorie du management par les ressources (Resource Based View en anglais) s’applique parfaitement sur certains marchés. La technologie a un coût : les projets sociaux visant la nouveauté nécessitent systématiquement un niveau d’investissement élevé. Cependant, tous les pays ni toutes les entreprises ne peuvent se permettre de telles dépenses. Ils n’ont donc que deux possibilités : soit dépenser au-dessus de leurs moyens, soit réviser à la baisse leurs ambitions tout en cherchant à maintenir la satisfaction de leurs clients et de leurs utilisateurs.
Les préférences clients dans les pays émergents
Une chose est sûre : avec la croissance des pays émergents dans le monde, ce problème ne concerne plus seulement les chercheurs et les hommes d’affaires. Entre 1995 et 2005, la population urbaine des pays en voie de développement aurait ainsi augmenté chaque jour de 165 000 personnes. La population totale des pays émergents devrait atteindre les 5,2 milliards d’individus en 2050. Mais alors que leur population progresse, les pays concernés ne deviennent pas forcément plus riches.
Les clients des pays émergents s’adaptent, par contre, plus vite aux technologies. Mieux : ils sont capables de sauter plusieurs niveaux d’avancées technologiques, rattrapant ainsi rapidement leurs homologues occidentaux. La progression des technologies mobiles en Inde est un parfait exemple. Alors qu’il n’y avait qu’un réseau télécom fixe il y a encore peu de temps, les progrès en matière de technologie mobile en Inde sont aujourd’hui enviés dans de nombreux autres pays.
Répondre à la demande dans des limites raisonnables
La récente révision des transports publics à Curitiba au Brésil montre, par ailleurs, la capacité des pays émergents à améliorer leurs infrastructures sociales sans appauvrir leur économie.
En observant attentivement les besoins de la communauté et le budget disponible, les autorités publiques brésiliens ont déployé un programme urbain adapté et un plan de développement routier stratégique. Le processus a débuté dès 1941 avec la création de l’environnement urbain initial. Celui-ci a, ensuite, évolué en un projet de développement urbain durable et structuré, via l’intégration réfléchie de transports publics dans les années 1960, et une réorganisation tout aussi étudiée du système routier et de la disposition des immeubles. Cette approche globale, menée étape par étape, a permis de concilier les besoins et la logique de la ville dans son ensemble avec ceux des zones et des constructions individuelles. Une approche qui s’oppose donc en tous points avec les projets d’innovation ponctuels prônant de « tout faire en grand », et ne démontrant aucune utilité publique sur le long terme.
Point trop n’en faut
L’approche adoptée à Curitiba, étiquetée “innovation suffisante”, implique de déployer des produits et services à moindre coût, plus simples et plus adaptés, en adéquation avec les besoins des clients ou utilisateurs, et en cohérence avec le budget alloué et disponible. Dans des pays comme le Brésil, il est impossible de faire rimer améliorations sociales avec investissements lourds dans des innovations technologiques sophistiquées. Comme l’ont souligné les manifestations des Brésiliens contre l’argent dépensé pour la Coupe du Monde de la FIFA 2014, ce type d’investissement sur le long terme n’est possible qu’en mettant en danger des secteurs vitaux comme la santé, l’éducation et les conditions de vie des habitants.
En déterminant ainsi avec attention les ressources et la demande, et en investissant avec sagesse, les marchés émergents peuvent construire des avantages concurrentiels reposant sur l’innovation.
En adoptant une approche réfléchie reposant sur la demande, les pays émergents pourraient trouver une manière de gérer non seulement la croissance rapide de leur population, surtout dans les mégapoles de plus de dix millions d’habitants, mais aussi les développements sociaux qu’un tel taux de croissance implique, et ce malgré un manque relatif de ressources.
Ce texte s’inspire de l’article “Innovation sociale dans les économies émergentes : une vision reposant sur les ressources”, publié par Irena Descubes, Jean-Philippe Timsit et Yann Truong, dans Strategic Change (volume 22, numéro 7-8, 2013).
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