Faire du neuf avec du vieux, une autre façon d’innover : les consommateurs face au design de produits néo-rétro
La banalisation des termes « rétro cool » ou « look vintage » montre combien les produits inspirés du passé continuent de susciter l’intérêt des consommateurs. Ce phénomène exprime-t-il simplement une nostalgie d’époques révolues, ou les consommateurs concernés sont-ils réellement séduits par les caractéristiques techniques de ces produits et leur niveau d’innovation, en plus de leur aspect visuel ?
Les produits de style rétro rencontrent un franc succès sur de nombreux marchés, comme en témoignent le nouveau look de la Coccinelle Volkswagen, la relance par Adidas de ses anciens modèles de chaussures de tennis Gazelle et Stan Smith et le renouveau spectaculaire du disque vinyle dans un esprit de retour aux sources, pour ne citer que trois exemples. Mais la réussite de ces produits ne tient pas qu’à leur apparence. S’ils ne remplissaient pas leur rôle, les consommateurs cesseraient vite de s’y intéresser. Les produits rétro et leur marketing doivent donc non seulement jouer sur la nostalgie mais aussi répondre aux exigences technologiques actuelles. Cependant, dans quelle mesure une telle démarche peut-elle être considérée comme innovante par rapport à des produits et à des designs plus modernes et futuristes ?
Choisir entre l’ancien et le moderne
Les produits rétro et leur niveau d’innovation peuvent se répartir en trois catégories : répétition (simple reproduction d’un produit ancien), réinterprétation (actualisation d’un produit) et création (conception nouvelle inspirée d’un produit existant). Alors pourquoi les entreprises hésitent-elles à prendre le virage du rétro ? La part de risque existe puisque le lancement d’un nouveau produit à l’esthétique vintage pourrait ne pas séduire des consommateurs habitués à un look plus moderne. Dans certains cas, les entreprises préfèrent privilégier l’acquis d’expériences et de ressources qui ont fait leur preuve. Il leur appartient pourtant de peser le pour et le contre, entre les acquis des produits connus et l’attrait éventuel des consommateurs pour la nostalgie et pour le look des produits anciens. Avant de prendre une décision, il est essentiel pour l’entreprise de déterminer dans quelle mesure les consommateurs perçoivent les produits rétro comme étant à la fois innovants et technologiquement fiables par rapport aux produits actuels.
Marketing des produits néo-rétro : un retour vers le futur ?
Le rétro-marketing vise à harmoniser passé et présent en combinant des fonctionnalités technologiques actuelles avec l’esthétique représentative d’une époque donnée. La désignation « néo-rétro » semble adaptée, au vu des réponses obtenues lors d’un test mené auprès de consommateurs britanniques. Tout en intégrant d’anciens codes visuels, les produits « néo-rétro » offrent non seulement des performances technologiques conformes aux normes actuelles, mais ils sont également perçus comme plus innovants que les produits actuels « standards ».
Ce test a porté sur la présentation d’un même produit (des écouteurs) aux deux designs différents (néo-rétro et moderne) et dans des environnements rigoureusement identiques. Les participants ont évalué le niveau de nouveauté, d’originalité ou d’innovation de chaque modèle et sa capacité à offrir des fonctionnalités technologiques innovantes. On a également jaugé leur propension à rechercher activement de nouveaux produits et leur réaction globale à l’égard de chaque modèle. Les réponses recueillies ont permis de tirer les conclusions suivantes :
- Le design des produits néo-rétro est perçu comme plus novateur que celui des produits actuels plus standards.
- L’apport technologique des produits néo-rétro est perçu comme assez similaire à celui des produits actuels standards.
- Il existe une corrélation positive entre l’innovation sectorielle et l’attitude envers l’ensemble des nouveaux produits, néo-rétro ou autres.
- Il existe une corrélation positive entre la recherche de nouveauté des consommateurs et leur attitude envers les deux types de produits.
Ces résultats posent non seulement un défi significatif aux concepteurs de produits qui font le choix moins risqué d’un design actuel plus standard, mais ils nous incitent aussi à redéfinir ce qui est « standard » et ce qui est « innovant » lorsque l’ancien se combine au moderne.
Implications sur la recherche et le design
Sur le plan de la recherche et en pratique, les perspectives sont prometteuses et les études à venir devront prendre en compte les notions de temps et de mémoire : à quel moment doit-on envisager de réinventer un ancien design et de le lancer comme un nouveau produit ? Au bout de combien de temps les consommateurs deviennent-ils nostalgiques des designs rétro ? Les résultats de l’étude posent également une question intéressante sur la notion de normalité. Ainsi, un design qui pourrait être considéré comme typiquement « années 1950 » deviendra original une fois mis au goût des années 2010 pour répondre aux normes des performances technologiques actuelles.
En période de crise caractérisée par un pouvoir d’achat au plus bas, les consommateurs veulent être rassurés sur la qualité des produits qu’ils achètent et ne pas être trompés par un design néo-rétro. Le néo-rétro permet de rompre avec les standards du design actuels et montre que passé et présent peuvent s’intégrer dans une même offre technologique sans susciter de méfiance. Aujourd’hui, pour de nombreux consommateurs, remplacer systématiquement du vieux par du neuf n’est plus tendance…
Cet article est basé sur l’étude de Laurence Fort-Rioche et Claire-Lise Ackermann intitulée Consumer innovativeness, perceived innovation and attitude towards « neo-retro »-product design (Capacité des consommateurs à innover, perception de l’innovation et attitude envers le design produit « néo-rétro ») publiée dans la revue European Journal of Innovation Management – 2013 (volume 16, numéro 1).
Laurence Fort-Rioche est professeur associé de marketing à Rennes School of Business. Ses domaines de recherche couvrent le design, l’innovation et le développement de nouveaux produits, les équipes pluridisciplinaires, le time-to-market et le marketing de produits et de services high-tech.
Claire-Lise Ackermann est professeur assistant de marketing à Rennes School of Business. Elle enseigne le management des marques, la stratégie commerciale et le marketing international, et ses domaines de recherche couvrent la cognition implicite, l’innovation et le management du design.