Évaluation des risques : repenser la méthode VaR d’analyse des risques de marché
Le risque est au cœur d’activités comme l’analyse de marché et les investissements financiers. Les outils les plus précis possibles doivent être utilisés pour pouvoir anticiper les pertes potentielles et dégager un capital suffisant pour faire face au(x) risque(s) identifié(s).
A cette fin, encore faudrait-il que les méthodes actuelles soient vraiment efficaces.
La gestion des risques a, comme de nombreuses disciplines, subi de plein fouet l’impact de la crise économique mondiale : les budgets se sont drastiquement restreints tandis qu’il est devenu indispensable de prédire les risques de la manière la plus précise possible.
Pourtant, force est de constater que les méthodes traditionnelles utilisées par la profession n’ont pas changé de manière aussi radicale. Les compétences clés sont toujours les mêmes : évaluer la probabilité d’un profit ou d’une perte potentiels et mettre de côté le capital correspondant pour y faire face.
Pendant de nombreuses années, les managers ont compté sur un modèle mathématiquement éprouvé, la VaR (de l’anglais « value at risk » : « valeur à risque » ou « valeur en jeu »), une notion utilisée généralement pour mesurer le risque de marché d’un portefeuille d’instruments financiers. Elle correspond au montant de pertes qui ne devrait être dépassé qu’avec une probabilité donnée sur un horizon temporel donné. Cependant, des recherches ont démontré qu’il était nécessaire d’adapter la probabilité des pertes en fonction du montant, un pré-requis que cette mesure échoue actuellement à remplir.
Des mesures adaptées aux marchés les plus sensibles
Les gestionnaires de risques font face à une question épineuse : celle de l’acceptabilité, qui pose elle-même de nombreuses questions. Quel montant financier raisonnablement mettre en jeu ? Quelle est la probabilité d’une perte importante ? En cas de perte, combien mettre de côté pour compenser un résultat éventuellement négatif ? Promue mondialement depuis que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire lui a donné son aval en 1996, la VaR a ainsi été utilisée pendant longtemps pour essayer de répondre à ces questions.
Un certain nombre de défauts ont cependant été identifiés dans la mesure. Pour les universitaires, elle ne prend pas en compte la notion de sous-additivité, lorsque la VaR du portefeuille global est potentiellement plus élevée que la somme des risques de ses parties. Les praticiens lui reprochent son manque de sensibilité face aux fluctuations du marché. La crise financière a souligné son incapacité à saisir le « tail risk », c’est-à-dire le risque d’avoir une probabilité plus élevée de pertes extrêmes. Autant de limites au modèle actuel qui ont pour conséquence de risquer, c’est le cas de le dire, une sous-estimation ou une sur-estimation des risques pré et post-crise. Et surtout, la mesure échoue à établir un lien entre la probabilité de perte et le montant exact en jeu.
Lambda VaR : une nouvelle mesure, plus sensible et donc plus adpatée au marché
La nécessité d’un lien entre la probabilité et le montant d’une perte financière réside dans le comportement des managers eux-mêmes. Lors de périodes plus stables, de plus grands risques peuvent être pris naturellement à la condition qu’un capital plus important soit mis de côté en prévision du scénario le plus dramatique.
Forts de ce constat, les régulateurs et les institutions financières ont proposé un nouveau modèle, une initiative de nouveau saluée en 2013 par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. L’alternative porte le nom de « Lambda Value at Risk » : plus sensible, elle est donc plus adaptée au marché.
Les mathématiques au secours des marchés
Ce nouveau modèle repose sur une approche mathématique éprouvée. Des simulations basées sur des études de cas historiques ont en effet été appliquées à douze actions différentes, issues de six pays affectés par la crise financière, sur la période de mars 2005 à juin 2011, et utilisant les cours des actions S&P500 (SPX), EURO STOXX 50 et FTSE 100 comme points de référence. Et bonne nouvelle, la lambda VaR a démontré une véritable sensibilité aux changements de cycles économiques, comme requis par les investisseurs et les gestionnaires de risques.
En plus des arguments pratiques en faveur de la nouvelle mesure, il est maintenant possible d’envisager des discussions théoriques plus poussées, ainsi que l’exploration d’autres types de facteurs de risques, ainsi que l’analyse du comportement d’un portefeuille de titres. Les investisseurs et les gestionnaires de risques ont quant à eux l’opportunité d’évaluer de manière plus précise les risques financiers, en réagissant rapidement aux fluctuations du marché, et ce en pleine conscience des comportements des différents actifs.
Ce texte s’inspire de l’article « Risk measures on P(R) and Value at Risk with Probability/Loss function », écrit par Marco Fritellli, Marco Maggis et Ilaria Peri, et paru dans « Mathematical Finance » (Volume 24, numéro 2, 2014).
Ilaria Peri est professeur assistante en finances et comptabilité à Rennes School of Business. Dans le cadre de ses recherches, elle s’intéresse tout particulièrement à la mesure des risques et des performances, et à la finance quantitative.